TANTRA ET LITTÉRATURE TANTRIQUE
Le Tantra, c’est comme le curry, c’est une invention d’occidentaux. En Inde, le curry existe bien mais c’est la feuille d’un arbre et non cette poudre d’épices mélangées que les occidentaux nomment curry et que les indiens appellent massala. En Inde également, les Tantras existent bien. Mais…
Tantra veut dire trame en sanskrit. Donc par extension, tissage puis assemblage de mots, c’est à dire traité. Tantra est donc, pour l’Inde érudite, un mot qui désigne un traité, un recueil de pensées ou d’aphorismes. On citera en exemples le fameux Vijnana Bhaïrava Tantra, mais aussi le Schvacchandatantra, le Tantraloka, le Kularnavatantra, le Rudrayamalatantra et le Netratantra et tant d’autres. Certains de ces Tantras évoquent bien la métaphysique shivaïte non-duelle qui a fleuri au Cachemire entre les VI et XIV siècles et que l’on qualifie désormais de Tantrisme ou Tantra, mais d’autres pas. Mais il faut savoir que ce nom générique de Tantra, en tant que doctrine et non plus seulement pour désigner un traité, est une création de scientifiques anglais du 19ème siècle dans leur tentative de décrire et de faire rentrer dans une case une série de doctrines et de pratiques qu’ils découvraient et étudiaient à cette époque. A leur tour, comme pour le curry, les indiens, somme toute très pragmatiques, se sont mis à utiliser le mot de Tantra dans ce sens déformé par les occidentaux.
Certains Tantras (traités) ne décrivent donc pas la doctrine dite désormais « Tantrique » mais certains textes qui ne sont pas des Tantras mais des Agamas (tradition) comme les Pancharatragamas, des Sutras (aphorismes) tels les Shivasutras, ou des Karikas (chants) tel le Spandakarika et des Samhitas (textes codifiés) comme le Shatsaharsrahrasamhita décrivent bien la doctrine que nous nommons aujourd’hui tantrique.
Pour rendre tout cela encore plus compliqué, cette appellation de Tantrisme recouvre aujourd’hui une branche importante et reconnue du bouddhisme tibétain (dont émanait par exemple le célèbre Tchogyam Trungpa), ainsi que la forme très occidentalisée que nous proposons sous le terme de Néo-Tantra. Méfions-nous donc de toute généralisation et de toute idée rapide à propos de ce qu’est ou n’est pas le Tantra. Laissons cela aux érudits et aux spécialistes. Restons simplement avec la conscience de nous-mêmes dans l’expérience du moment. Ceci demeure l’essentiel de la pratique de ce Yoga de la conscience.
Laurent Lacoste